Amour cubique sur fond d’enfance

«Roméo et Juliette», au Théâtre populaire romand à La Chaux-de-Fonds.

De grands cubes, une quinzaine, répartis sur toute la scène. Sur leur surface, plate ou en pente, une Juliette qui ressemble à la Fée Clochette et un Roméo, mignon comme un santon. Jeudi dernier, soir de première au TPR, il neigeait à la Chaux-de-Fonds. Une ambiance de conte tout à fait raccord avec la création de Lorenzo Malaguerra. A travers son Roméo et Juliette au parfum d’enfance, le Genevois privilégie la part d’émerveillement de cet amour à contre-courant. Et propose une mise en scène très en farces, facéties et mouvements.

Roméo et Juliette, c’est bien sûr le récit d’un amour absolu, plus fort que la mort. Mais, sous la plume de Shakespeare, c’est aussi la condamnation du conflit absurde qui mine deux familles ennemies. Et encore, entre les garçons frondeurs et frimeurs, révocation de corps a corps desquels le désir n’est pas toujours absent.

Muette, la première séquence du spectacle traduit parfaitement le côté menaçant de cette guerre des clans. Dans une semi-obscurité, entre les cubes borgnes imaginés par Sylvie Kleiber, des figures humaines détalent tels des rats traqués. Empoignades étouffées, bruits de lames, chutes feutrées: aucune parole n’a encore été échangée que déjà, on sent la peur sur la ville.

Mais, très vite, peut-être à la faveur de la rencontre amoureuse, le climat oppressant laisse sa place à une ambiance effervescente et joueuse. Les parents de Juliette (Roberto Molo et Nathalie Boulin) – de vrais bouffons en matière d’éducation -, adoptent un jeu grotesque dans le chagrin comme dans la fête où ils apparaissent un lampadaire sur la tête. Frère Laurent (Philippe Hottier) et la nourrice (Magali Hélias) ont l’humanité plus ancrée, mais leurs excès de tempérament font, eux aussi, rire l’assemblée. Quant à la bande belliqueuse, elle saute de cubes en cubes et joue à se battre pour de faux. Ainsi, lorsque le fantasque Mercutio (José Lillo) tombe sous le coup de Tybalt (Adrien de Tribolet), il ne crache pas ses viscères, mais s’assied dos au public et incline simplement la tête. Jolie manière de dire «pouce».

Cette part d’enfance, ce talent pour la naïveté, c’est bien sûr Roméo et Juliette qui l’incarnent en priorité. Sur une nouvelle traduction du Français Yves Sarda, dans un montage cinéma aux noirs fréquents, les deux promis s’aiment sans jamais perdre en étonnement. Ania Temler, la blondeur gracile et gracieuse, Matteo Zimmerman, le corps impatient, se parlent, se palpent, s’embrassent dans la stupeur du sentiment. Le spectacle peut gagner en densité, il a déjà son scintillement.
Marie-Pierre Genecand, Le Temps, 2008

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